Application extensive de la clause d’arbitrage

UNE CLAUSE D’ARBITRAGE PEUT S’APPLIQUER À UNE ACTION EN RESPONSABILITE DELICTUELLE

Cass. Civ. 1e 6 juillet 2016 n°15-19.521 F-PB


 

Par un arrêt du 16 juillet 2016, la Première chambre civile de la Cour de cassation a décidé qu’une clause d’arbitrage, rédigée en termes généraux et donnant compétence au Tribunal arbitral du sport en cas de différend entre les parties au contrat, n’est pas manifestement inapplicable à une action en responsabilité délictuelle.

Cette décision confirme la jurisprudence antérieure et rapproche les clauses d’arbitrage du régime des clauses attributives de juridiction.

Faits et procédure

Par un formulaire de demande de « participation aux bénéfices de la coupe du monde 2010 », un club français de football professionnel a mis à disposition de la Fédération Internationale de Football (ci-après : « FIFA ») un de ses joueurs. Ce formulaire comportait une clause compromissoire donnant compétence au Tribunal arbitral du sport (ci-après : « TASS ») en cas de différend entre les parties.

Suite à un accident de la circulation, le joueur mis à disposition n’était plus en mesure de jouer pour le club français. Le club a, alors, assigné la FIFA devant le Tribunal de grande instance de Montbéliard aux fins d’indemnisation de son préjudice sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.[1]

La FIFA a soulevé une exception d’incompétence sur la base de la clause compromissoire stipulée dans le formulaire. Le Tribunal de grande instance de Montbéliard a accueilli cette exception de procédure et s’est déclaré incompétent.

Le club de football a, ensuite, décidé d’interjeter appel. La Cour d’appel de Besançon a confirmé l’incompétence du Tribunal de grande instance de Montbéliard au motif que la demande du club de football relevait au fond de la compétence du Tribunal arbitral du sport.

Le club de football a, alors, formé un pourvoi en cassation en soulevant le moyen selon lequel la clause compromissoire ne s’impose aux parties que pour ce qui concerne leurs actions en exécution forcée de leurs obligations contractuelles ou en responsabilité contractuelle et que toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée.

Décision de la Cour de cassation

La Première chambre civile de la Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon et décide comme suit :

« […] l’arrêt […] après avoir relevé que le formulaire de la demande de participation aux bénéfices de la coupe du monde 2010, signée par le FC Sochaux, contenait une clause donnant compétence au TAS en cas de différend, retient que, rédigée en termes généraux, celle-ci [la clause compromissoire] ne peut voir son champ d’application limité aux seuls litiges relatifs à cette participation ; qu’ayant, ainsi, fait ressortir que la clause compromissoire n’était pas manifestement inapplicable au différend opposant les parties, la cour d’appel en a exactement déduit que le tribunal de grande instance était incompétent pour connaître de la demande dès lors qu’il appartient au tribunal arbitral de statuer par priorité sur sa propre compétence […] ».

Appréciation

La Première chambre civile de la Cour de cassation affirme qu’une clause d’arbitrage peut s’appliquer à une action en responsabilité délictuelle. Elle se réfère pour cela à la rédaction de la clause qui, en l’espèce, était rédigée en termes généraux.

Afin de saisir le sens de cette décision, il convient de revenir sur l’article 1448, alinéa 1 du Code de procédure civile qui dispose que :

« Lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. »

Ainsi, en application du principe de compétence-compétence, il appartient à l’arbitre de statuer par priorité sur sa propre compétence. La juridiction étatique, saisie d’un litige qui pourrait être destiné à l’arbitrage, doit se déclarer incompétente, sauf si la clause d’arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable.

En l’espèce, les termes de la clause couvraient un champ suffisamment large pour inclure une éventuelle action délictuelle, de sorte que le tribunal de grande instance devait se déclarer incompétent au profit du Tribunal arbitral du sport.

Cette solution n’est pas nouvelle et confirme une jurisprudence constante. En effet, la Cour de cassation a, par le passé, jugé que, s’agissant d’une action engagée pour rupture brutale de relations commerciales établies, la généralité des termes de la clause compromissoire traduisait la volonté des parties de soumettre à l’arbitrage tous les litiges découlant du contrat sans s’arrêter à la qualification contractuelle ou délictuelle de l’action engagée.[2]

In fine, une clause d’arbitrage trouve à s’appliquer indépendamment du fait que l’on soit en présence d’une action contractuelle ou délictuelle. Ce sont la rédaction et les termes de la clause qui sont déterminants.

En conséquence, afin d’éviter tout litige sur la portée de la clause d’arbitrage, les parties à un contrat ont tout intérêt à en préciser explicitement le champ d’application.

Regards croisés avec la clause attributive de juridiction

Cet arrêt relatif à l’application de la clause d’arbitrage à une action délictuelle conduit à un rapprochement avec la clause attributive de juridiction. En effet, il paraît intéressant de s’interroger sur l’application d’une clause attributive de juridiction en cas d’action délictuelle.

La Cour de cassation a répondu à cette question dans deux arrêts de la Chambre commerciale en date du 9 mars 2010 et du 18 janvier 2011[3] dans lesquels elle a considéré qu’il n’y avait pas d’inapplicabilité de principe de la clause attributive de juridiction en cas d’action délictuelle. En effet, l’application de la clause dépend de ses termes et de son acceptation par les parties.

Cette solution vient d’être réaffirmée par la Première chambre civile de la Cour de Cassation qui, dans un arrêt du 18 janvier 2017, a jugé que la clause attributive de compétence s’appliquait à la rupture brutale du contrat dans la mesure où la clause ne se limitait pas aux obligations contractuelles.[4]

En conclusion, il peut être retenu que les clauses compromissoires et attributives de juridiction trouvent à s’appliquer en cas d’action délictuelle, à condition d’être rédigées dans des termes suffisamment larges qui ne les limiteraient pas aux seules obligations contractuelles.


[1] Nouvel article 1240 du Code civil, modifié par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

[2] Cass. civ. 1e., 21 octobre 2015, n°14-25.080 ; sur la qualification contractuelle ou délictuelle de la rupture brutale des relations commerciales établies, cf prochainement notre article Focus ALISTER analysant l’arrêt de la CJUE en date du 14 juillet 2016.

[3] Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-10216 ; Cass. com., 18 janvier 2011, n°10-11.885.

[4] Cass. civ. 1e., 18 janvier 2017, n°15-26.105.